L'agriculture biologique comme outil de libération: s'affranchir de l'agroalimentaire industriel au Salvador

Interview de Miguel Ramirez, coordinateur national du Mouvement d'Agriculture Biologique (IFOAM) du Salvador
Interview de Miguel Ramirez, coordinateur national du Mouvement d'Agriculture Biologique (IFOAM) du Salvador:

"Nous disons que chaque mètre carré de terre qui est travaillé de façon agroécologique est un mètre carré de terre libéré. Nous voyons cela comme un outil pour transformer les conditions de vie sociales et économiques des agriculteurs.



Nous, à l'Organic Agriculture Movement (IFOAM), voyons le sol comme la Terre Mère, un organisme vivant, qui donne naissance à toute sorte de vie. La Terre Mère est en train d'agoniser et a besoin d'être secourue.

Ainsi, même un nouveau petit lopin de terre sous gestion biologique fait partie de l'effort pour la faire revivre. Nous avons à ce jour environ 3700 petits producteurs locaux qui sont formés et travaillent dans l'agriculture biologique au Salvador. Nous ne représentons que 1% de tous les petits producteurs, mais il y a 15 ou 20 ans nous n'avions pas d'agriculture biologique.

Notre territoire ne fait que 20000 Km², avec 70% dédiés à l'agriculture. Le défi est de continuer à gagner de nouvelles familles d'agriculteurs pour les reconvertir en agriculteurs biologiques et ainsi libérer la terre.


Pendant des décennies, les paysans salvadoriens ont été marginalisés et appauvris par le modèle agro-industriel


Pendant 60 ans, les paysans salvadoriens ont été marginalisés et appauvris par le modèle agro-industriel (dépendance chimique, grande échelle, agrobusiness contrôlé par les entreprises) qui est basé sur l'exploitation des ressources et des hommes.

Aujourd'hui, les paysans du Salvador, comme partout en Amérique latine, vivent dans un système de semi-esclavage et sont dépendant d'une technologie couteuse et toxique qui ne leur appartient pas. Les gens font face à de sérieux problèmes de santé. L'exposition prolongée aux pesticides et autres toxines de notre nourriture affaiblit notre fonction rénale, engendre des cancers et diabètes.

Un autre problème auquel nous sommes confrontés en raison de ce système de production est la dégradation extrême des ressources naturelles. Le Salvador a la plus grande dégradation des sols dans toute l'Amérique Centrale. 80% des terres sont dégradées et 99% des rivières contaminées.


Une richesse historique incroyable au Salvador


D'après certains généticiens, biologistes et anthropologues, l'Amérique Centrale a été l'une des premières région à pratiquer l'agriculture en 7000 avant JC environ. Plus tard, la civilisation Maya fut l'une des pionnières en agriculture. Nous avons une richesse historique incroyable concernant leurs pratiques au Salvador, et cette richesse doit être sauvée.

L'une est le système de production maya appelée Milpa (des petits jardins bio-organiques impliquant la rotation des cultures et un contrôle familial). Pendant des milliers d'années, les milpa ont apporté la souveraineté alimentaire et des aliments sains pour la civilisation.

Ce modèle a été perturbé par plusieurs évènements historiques. L'invasion espagnole il y a 500 ans a détruit toutes les traditions mayas et le modèle de production basée sur la souveraineté alimentaire. Les communautés locales ont été forcées d'arrêter de produire leur propre nourriture et de commencer à produire ce qui intéressait la colonie espagnole.


Les machines militaire pour faire des armes chimiques ont été réutilisées pour la production agricole


L'autre influence importante a été la Révolution Verte dans les années 1960. Ensuite, après la Seconde Guerre Mondiale, les machines militaire pour faire des armes chimiques ont été transformées et utilisées pour la production agricole. Toute l'Amérique Latine a été victimes de l'imposition de ce modèle technologique.

Le Salvador a une histoire tragique et répressive, dont la guerre civile. La guerre finit en janvier 1992. L'accord de paix a permis de rendre possible les conditions pour commencer l'organisation, l'éducation et le travail vers l'agroécologie et l'agriculture biologique.

Au début, le mouvement ne fut pas réellement un succès, mais il y a environ 10 ans, nous avons recommencé à travailler, et le mouvement pour une agriculture biologique a commencé à grandir.
Notre principale stratégie sur les six dernières années s'est axée sur la sensibilisation.

Malheureusement, les agriculteurs pauvres défendent les pesticides; c'est en effet le seul ensemble technique qu'ils connaissent. L'agriculture industrielle agrotoxique est comme une drogue. Une fois que l'on tombe dans le vice, c'est difficile d'en sortir.


Vers l'éducation, la sensibilisation et l'organisation communautaire des paysans salvadoriens


Nous travaillons pour aider les fermiers à comprendre qu'ils doivent cesser d'être des objets de consommation dans ce système. Ils doivent retrouver leurs valeurs et sauver les connaissances ancestrales, c'est l'un des premiers piliers du mouvement. 

Nous pensons qu'avec l'éducation, la sensibilisation et l'organisation communautaire des paysans salvadoriens, il est possible de renverser notre histoire agricole. Nous pensons que le changement ne sera possible que s'il vient du sol, d'une population paysanne consciente et organisée.

Le secteur de la consommation au Salvador est très mal informé. Ils ne connaissent pas la réalité des paysans et ils en savent encore moins sur l'importance a réclamer une nourriture saine.

Nous travaillons pour apporter un lien direct entre producteur et consommateur, afin que ces derniers comprennent les paysans et la valeur de leur travail, ce que cela demande de fournir de la nourriture à chaque table salvadorienne. Nous pensons qu'afin de garantir la souveraineté alimentaire, nous devons avoir une agriculture biologique, apportant une alimentation saine pour tout le monde.

Mais nous ne croyons pas aux produits biologiques trop chers. C'est une pratique élitiste en contradiction avec notre travail. L'Organic Agriculture Movement travaille pour changer cela, car nous estimons que toute la communauté peut et doit manger sainement.


Les gouvernements à la solde des transnationales agrochimiques


Lorsque le gouvernement de gauche a prit le pouvoir en 2009 au Salvador, nos espoirs sont montés en flèche. Avant les élections, nous avions commencé à travailler avec le partir politique de gauche sur un plan pour développer le secteur agricole; ce plan incluait une stratégie pour l'agriculture biologique. Cela fait déjà partie du plan quinquennal de l'administration. Nous ne sommes pas entièrement satisfait de cette réponse jusqu'ici, mais nous espérons sincèrement que ce plan se aboutira à des actions concrètes.

En juillet 2014, nous avons soumis une proposition au Ministère de l'Agriculture pour le développement de l'agriculture biologique, avec 13 propositions stratégiques. Le ministre reconnaît que l'agriculture biologique est une menace pour de solides intérêts financiers.

Les transnationales agrochimiques sont comme des monstres, capables de mettre en place ou d'éliminer des gouvernements. Monsanto et d'autres compagnies, comme Bayer, Dow, DuPont et Singleton, ont des contrats de plusieurs millions de dollars au Salvador et dans tous les pays d'Amérique Latine. Le gouvernement précédent a acheté tous ses engrais et semences à Monsanto pour les donner aux producteurs sous forme de paquets agricoles. Les relations entre les compagnies et le gouvernement ont été rompues avec cette administration, et nous espérons que cette rupture va s'étendre encore plus.


Education et formation doivent aussi être repensées


Certains organismes de recherche du gouvernement ne connaissent pas encore l'agriculture biologique ou alternative, car le monde universitaire est sous l'emprise de sociétés comme Monsanto.

Une partie de notre lutte a également été de réinventer la National University’s Agricultural Engineering Faculty, car c'était le lieu où se trouvaient nos principaux détracteurs. L'université, volontairement et involontairement, défend l'agriculture agrotoxique, et continue d'éduquer les professionnels qui suivent cette ligne. 

Je suis heureux de pouvoir dire qu'en janvier 2015, nous avons organisé un atelier avec la National University’s Agricultural Sciences Faculty et le personnel académique avec l'objectif de commencer à transformer le programme d'études. Nous avons présenté aux professeurs en agronomie de l'université nationale, les théories de l'agriculture biologiques, et nous les avons amenés sur le terrain pour les convaincre. Nombre d'entre eux ont vu les bénéfices et ont inclut l'agroécologie dans leur programme.

Il reste encore beaucoup de défis à relever. Mais nous faisons des progrès dans ce combat titanesque, afin d'assainir la vie de tous les salvadoriens. "


Pour plus d'informations et pour soutenir le Mouvement d'Agriculture Biologique au Salvador:

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